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07 mai

Jean-Marie Bockel dans Prison Valley: «L’après prison se prépare pendant la prison et, là, nous avons encore des progrès à faire»

Voici la retranscription intégrale du tchat avec Jean-Marie Bockel, secrétaire d’Etat à la Justice, dans Prison Valley, le 6 mai 2010.

Première question. Elle émane de Gonzague Rambaud, notre précédent invité des tchats Prison Valley. Il vous demande: «Très attendue, la loi pénitentiaire, votée en octobre 2009, a confirmé la nécessité d’interdire le contrat de travail en prison. Malgré les nombreux rapports qui dénoncent cet état de fait depuis vingt ans, le législateur persiste et signe. Qu’est-ce que cela vous inspire ?» par Prison Valley

Cela m’inspire que la loi pénitentiaire de novembre 2009 a constitué une avancée avec le contrat d’engagement qui est un progrès mais ne va volontairement pas jusqu’au contrat de travail classique. Ceci aurait pour effet quasi immédiat de réduire l’offre de travail.

Nos partenaires privés sont devenus, au fil des ans, et tout en respectant la prescription de l'Etat, une force de proposition précieuse

«Les prisons sans barreaux constituent entre un dixième et un tiers des places de prisons dans les autres pays européens...»

Pensez vous qu’en France métropolitaine, nous allons enfin voir arriver des prisons ouvertes comme Casabianda, les Français vont être assez réticents les connaissant, pourtant cela ne serait que bénéfique pour nos maris incarcérés, et non violents (mon mari est un détenu calme et aimerait bien voir ce système se développer pour pouvoir y être intégré) par Emma

Les Français sont partagés sur cette question qu’ils connaissent mal, mais plutôt favorables, surtout lorsqu’on leur explique de quoi il s’agit réellement. Je me suis saisi de cette question étant très favorable au développement de ces prisons sans barreaux qui constituent entre un dixième et un tiers des places de prisons dans les autres pays européens…
 C’est pourquoi j’ai missionné un chercheur à l’université d’Aix-en-Provence spécialiste des prisons ouvertes, Paul Roger Gontard, dont nous avons présenté le rapport d’étape début avril, et avec lequel nous travaillons, sous l’autorité de la Garde des Sceaux, à des propositions de développement progressif de ces prisons sans barreaux dans notre pays.

Quels profils de détenus retiendrait-on pour ces régimes de détention ouvert (délinquants sexuels comme à Casabianda ou bien des détenus condamnés pour d’autres types d’infraction : stupéfiants, atteintes mineurs aux personnes)? par marion

Contrairement à Casabianda qui, historiquement, depuis presque ses débuts il y 60 ans, accueille une majorité de délinquants sexuels, la plupart des prisons ouvertes en Europe sélectionnent les candidats à une poursuite ou à une fin de peine en prison ouverte, quelle que soit la nature de leurs délits, en fonction de leur aptitude à respecter les obligations qui accompagnent la prison ouverte.

Le seul enfermement qui soit réellement un problème à mes yeux, c’est celui du silence des victimes, dans lequel, parfois, elles s’emmurent, alors que dans le même temps, la société ne pense qu’à une chose: le bien des auteurs de crimes et délits. Mr Bockel je vous trouve un peu trop « ouvert » d’esprit. D’ailleurs, une prison ouverte est-elle toujours une prison? par Bernard

J’ai, avec mes collègues du gouvernement, et en ce qui me concerne depuis très longtemps comme maire, le souci des victimes existantes ou potentielles. Je suis en dialogue constant avec les associations de victimes qui sont de plus en plus au fait des dossiers, et bien organisées. Les prisons ouvertes ont les contraintes principales d’une prison : on ne peut pas sortir, le régime de permission est strict. C’est un régime carcéral. On travaille plus dans ces prisons ouvertes qu’ailleurs, et on rembourse donc mieux les victimes. Et à la sortie, la récidive est moindre. Pour moi, le souci des victimes est constant mais le détenu, justement condamné, ne mérite pas la double peine que serait l’enfermement sous toutes ses formes et des conditions indignes de détention d’autre part.

A quand une vraie transparence des lieux d’enfermement et une journée « portes ouvertes » pour la presse des lieux de détention ? par Isabelle

La transparence progresse d’année en année. J’y suis favorable et je le démontre à chaque visite: transparence de la réalité de nos prisons y compris les plus archaïques à la presse, exemple Basse-Terre. La limite de la transparence, ce sont certains impératifs de sécurité, que chacun peut comprendre, et plus encore le respect des personnes. On peut tout voir, mais on ne peut pas tout voir tout le temps sans précaution.
Le contrôleur général des prisons et ses équipes d’une part, les parlementaires d’autre part, usent largement de leur droit de visiter de manière approfondie les prisons et de le faire savoir.

Que pensez vous du regard de l’opinion sur les prisons françaises? est-il juste ou erroné? n’existe-t-il pas une schizophrénie entre demande accrue de sécurité, et demandes d’alternatives à l’incarcération? par Charlene

En effet, l’opinion est partagée et souvent chaque personne est partagée : l’intérêt de la société, néanmoins, réside dans une bonne insertion (famille, travail…) à la sortie de la prison, afin de limiter la récidive, c’est à dire de nouvelles victimes. Chacun peut comprendre que l’après prison se prépare pendant et, là, nous avons encore des progrès à faire.

Si la prison punit, elle a aussi pour mission de réinsérer. Généralement, les détenus ressortent avec des contacts et encore plus de haine. Concrètement, qu’est-ce qui sera mis en oeuvre pour casser cette spirale et favoriser la réinsertion ? par Olivier

Le mal principal des prisons françaises est l’oisiveté, même si nous avons en matière de travail rémunéré, d’activité, de formation, d’apprentissage… de belles réussites. Il n’est pas acceptable de rester parfois durant des mois, 22 h sur 24 dans sa cellule, c’est le premier défi.

La caractéristique des prisons ouvertes, c’est d’abord que chaque détenu travaille, contribue ainsi à rembourser ses victimes, à disposer d’un pécule pour lui et ses proches, et, très souvent, à préparer son métier de demain.

Jean-Marie Delarue (contrôleur général des lieux de privation de liberté) pointe notamment une vision ultra sécuritaire des prisons modernes (beaucoup de vidéosurveillance, manque de rapport humain, etc). Votre avis? par Isabelle

Il faut de la sécurité dans les prisons, y compris pour protéger les autres détenus et les personnels pénitentiaires. Les prisons les plus récentes sont de surcroît plus humaines que celles construites il y a encore quelques années. L’accent est mis sur l’accueil, les lieux de socialisation, l’encellulement individuel et les standards de base (WC et douche dans chaque cellule).

«Nos partenaires privés sont devenus au fil des ans une force de proposition précieuse»

«Nos partenaires privés sont devenus, au fil des ans, une force de proposition précieuse.»

Monsieur le ministre, de nouvelles prisons seront-elles disponibles? par Oom

Que pensez-vous qu’il soit plus utile de réaliser : réhabiliter les anciennes prisons ? Ou en construire de nouvelles et pourquoi pas en centre ville ? par Markotx

Les deux car certaines prisons anciennes sont très « humaines » mais ce n’est pas toujours possible, tant d’autres prisons sont dégradées.
 Le critère d’aujourd’hui, c’est à la fois la sécurité extérieure incompatible avec un milieu urbain dense ; la proximité si possible de la ville ; et des réseaux de transports publics pour les familles et les personnels. Sous-entendu, on ne fait plus de prison au milieu de nulle part, mais on ne peut déployer une prison moderne avec des besoins d’espace, y compris le sport, sans oublier la nuisance des parloirs sauvages, en centre-ville.

Il va y avoir de nouvelles prisons, le programme 13200 places actuellement en cours, s’achève en 2012, et les programmes suivants (5000 places promises par le président de la République et nouvelle programmation après 2012) sont en cours d’arbitrage, site par site.

Bonjour Monsieur Bockel et autres internautes, merci de prendre le temps de répondre à nos questions. Pour être concise, quels sont les moyens dont dispose le gouvernement pour faire converger les intérêts de la Justice et ceux des partenaires privés engagés dans la gestion déléguée de nos prisons? par Charlene

D’abord définir une règle du jeu claire quant à la commande, c’est à dire, la détermination d’établissements conformes à la loi pénitentiaire qui marque un nouveau progrès, même par rapport à la génération des prisons actuellement mises en service. Nos partenaires privés sont devenus, au fil des ans, et tout en respectant la prescription de l’Etat, une force de proposition précieuse.

Quelle est l’influence des prestataires privés à l’heure de dessiner le cahier des charges? Sont-ils force de proposition? par Charlene

Nous avons une expérience ancienne en France de partenariat avec le privé sur la construction, et sur certains aspects de la gestion des prisons, et par là, un bon retour d’expérience.

«L'après prison se prépare pendant la prison et, là, nous avons encore des progrès à faire»

«L'après prison se prépare pendant la prison et, là, nous avons encore des progrès à faire»

Bonjour monsieur le ministre. Dans le film Prison Valley, on voit des prisonniers fabriquer des cellules. Que pensez-vous de cette scène, de ce travail? Et avez-vous le film d’ailleurs ? Merci ! par Loïc

Je l’ai vu ce matin, je l’ai trouvé excellent. C’est un aspect positif puisqu’il va à l’encontre d’un autre aspect présenté dans ce film qui est l’oisiveté en cellule.

Je suis pragmatique, même en France, les prisonniers qui apprennent un métier, travaillent (dans le bâtiment), au service de l’administration pénitentiaire. De là à le généraliser…

Les recommandations européennes en matière pénitentiaire préconisent un traitement différencié des détenus. Selon vous, faut-il continuer comme nous le faisons actuellement en France à « mélanger » différents profils de détenus au sein d’un même établissement ou vaudrait-il mieux s’orienter vers une spécialisation des établissements en fonction de la dangerosité de chaque détenu (comme dans certains Etats : Royaume uni et Canada par exemple) ? par marion

Il y a déjà une certaine spécialisation en France, notamment au niveau des centrales. Il ne faut pas pousser la logique de spécialisation jusqu’à ses limites.
 La différenciation présente d’abord l’avantage dans un même établissement de ne pas imposer le régime le plus sécuritaire à une majorité de détenus, dont le comportement ne le nécessiterait pas.

Les fouilles corporelles ont été dénoncées par le comité européen contre la torture. Comptez-vous y mettre en discuter afin d’y mettre fin ? par Isabelle

Certaines fouilles sont nécessaires pour des raisons évidentes de sécurité. Mais tout le monde reconnaît, à commencer par le personnel pénitentiaire, qu’il y a trop de fouilles, c’est objectivement un problème du point de vue de la dignité des personnes. Nous commençons aussi à expérimenter des nouvelles technologies permettant d’éviter la fouille tout en assurant la sécurité (scanners).

Une autre question d’actualité pour mon mari, là où il est incarcéré, on vient de nous interdire de faire parvenir des livres et magazines par le biais des sacs de linge. Le problème est que même par le courrier, cela ne passe pas. Pensez-vous qu’il faudrait harmoniser les règlements intérieurs ? De plus, en quoi l’apport de livres (copie pour ne pas avoir la couverture rigide) et de magazines, puisse être nuisible à la pénitentiaire et à la sécurité ? par Emma

Nous devons harmoniser d’avantage cette question d’autant que certaines prisons sont organisées, y compris avec des sous-traitants, pour élargir les choix et l’accès à d’avantage de livres et de journaux.  Néanmoins, tout envoi extérieur est soumis à des impératifs compréhensibles de sécurité.

Sur la question des livres, la réponse est un peu lapidaire… En quoi l’apport de livres et de magazines pourrait nuire aux impératifs de sécurité auxquels sont soumis les « envois extérieurs »? par Diego

Je l’ai dit tout à l’heure, nous voulons harmoniser les régimes d’envois extérieurs, en rapprochant nos prisons de celles qui savent aujourd’hui concilier apport extérieur (notamment de livres et de revues), et sécurité, ce qui est possible.

De récents événements nous ont encore une fois montré que le suicide est un véritable fléau dans les prisons françaises. Que comptez-vous mettre en place pour lutter contre ce problème? par Patrick

Le taux de suicide plus élevé en France qu’ailleurs est un des marqueurs du retard français. A côté de l’amélioration de l’accueil pour limiter le choc carcéral, des moyens dissuasifs (draps en papier…), d’un travail sur le parrainage par des détenus formés à cela, la principale réponse me semble être l’amélioration des conditions de détention et l’augmentation de tout type d’activités pour les prisonniers.

Je suis médecin dans une prison en Suisse. Pour moi, le mal français c’est aussi le manque de personnels pénitentiaires. Qu’en pensez vous? par Delarue

C’est exact mais nous progressons au rythme des sorties d’école. Vous êtes médecin : nous savons que nous avons aussi un vrai problème, y compris avec les problèmes psychiatriques en prison et le fait qu’une importante minorité de détenus devrait être en unité spécialisée, plus adaptée à leur état.

La première UHSA (Unité hospitalière spécialement aménagée) vient justement d’ouvrir à Lyon pour les détenus atteints de troubles psychiatriques. A terme, combien de ces établissements seront ouverts? N’est-ce pas repousser le problème de la trop grande présence de personnes malades mentales en prison? par marion

Il faut les deux, des établissements spécialisées pour des personnes considérées comme à même d’être incarcérées et, à l’extérieur de la prison, développer des soins, soit en établissement, soit en milieu libre pour des personnes potentiellement dangereuses pour elles-mêmes et pour autrui.

Pourquoi mettre autant d’argent dans les établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) ? N’aurait-il pas mieux valu privilégier l’éducatif et les structures ouvertes ? par Isabelle

Là aussi, il faut les deux. Sur 61000 personnes en prison, il y environ 700 mineurs. D’autre part, les centres éducatifs fermés de la protection judiciaire de la jeunesse, se sont développés depuis quelques années, jusqu’à atteindre plus de 40 établissements en France. Ces établissements sont très encadrés (plus de personnels que de jeunes) et constituent pour les jeunes pour lesquels tout avait échoué jusque-là, la solution de la dernière chance.

C’est parce que je crois profondément qu’une société moderne doit marcher sur ses deux pieds (sanction et prévention) que j’ai fait du renforcement de la prévention sous toutes ses formes, inspirée de mon expérience concrète de maire, une priorité de ma mission.

Le «back-office» du tchat. A droite: tous les billets parvenus. Au centre: les billets en attente de réponse. A gauche: les billets répondus.

Le «back-office» du tchat. A droite: tous les billets parvenus. Au centre: les billets en attente de réponse. A gauche: les billets répondus.

L’administration pénitentiaire prévoit 80 000 détenus d’ici 2017. Comment expliquez-vous cette inflation carcérale? Par le doublement de la durée des peines en 20 ans? Par la multiplication de lois pénales sans précédents ces dix dernières années? Ou avez-vous une autre interprétation? par Diego

Je ne connais pas cette projection et je ne la fais pas mienne. Je plaide plutôt pour une relative stabilité de la population carcérale nous permettant d’atteindre plus rapidement le choix de l’encellulement individuel. Pour autant, il n’y a pas de laxisme car le recours aux peines alternatives à la prison (bracelets électronique, semi-liberté, travaux d’intérêts généraux) a fortement augmenté ces dernières années.

La prochaine invitée des tchats Prison Valley est Florence Aubenas, présidente de l’Observatoire international des Prisons. Quelle question lui poseriez-vous? par Prison Valley

Madame la présidente, par-delà les présupposés idéologiques, votre porte-parole à l’émission de Planète Justice – à laquelle j’ai participé il y a quelques jours – s’est déclarée favorable au développement de prisons ouvertes en France. Est-ce également votre opinion ?

Dernière question rituelle de Prison Valley: qu’est-ce que la peur pour vous? par Prison Valley

La peur, c’est la peur des autres, c’est la peur de soi-même, c’est un sentiment que nous connaissons tous, et pour moi l’avancée de l’humanité, c’est un chemin qui nous permette de surmonter nos peurs et de changer notre regard sur l’autre et sur soi-même. Même pas peur !