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Le travail des prisonniers : outil de réinsertion ou exploitation d’une main d’œuvre fragilisée ?

  • 4 Commentaires

Tchat avec Gonzague Rambaud, auteur du « Travail en prison »

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    Gonzague © D.R.

    Premier rendez-vous : 29 avril, 19h-20h.
    Retranscription quasi-intégrale du chat avec Gonzague Rambaud, journaliste indépendant.

    Votre livre «Le travail en prison: enquête sur le business carcéral» (Autrement, 2010) développe une thèse: le travail en prison serait une forme de délocalisation... sur place. Pouvez vous détailler?

    Le travail en prison coûte peu cher aux entreprises : 3 euros brut de l'heure en moyenne, des charges minime, pas de contrat de travail.Une zone de non droit qui rappelle certains pays où les entreprises délocalisent...

    Aujourd'hui, que répondriez vous en quelques mots à la question "A quoi servent les prisons?"

    Les prisons servent d'abord à punir avant de réinsérer. L'adage, travail en prison= réinsertion professionnelle à la sortie semble faux, au regard de notre enquête. Les tâches pratiquées : rempaillage de chaises, découpe de post'it, conditionnement de parfum, couture, notamment pour les uniformes de surveillants, ensachage de bonbons, etc., on peut douter de la plus-value - hormis pour les entreprises - du travail carcéral. Par ailleurs, seuls 3500 détenus sur 63 000 ont bénéficié de formation professionnelle rémunéré en 2008. On voit bien que le sens de la peine est difficile à trouver lorsqu'on est dedans...

    Bonjour, avez-vous rencontré des difficultés dans votre enquête ? En particulier, avez-vous été entièrement libre de faire votre travail, comme vous le désiriez ?

    Nous avons eu la chance, Nathalie Rohmer, co-auteur du livre, et moi, de recueillir les témoignages de tous les acteurs : cadres de l'administration pénitentiaire, surveillants, prisonniers, anciens détenus, et les entreprises. Celles-ci, forcément, n'étaient pas promptes à parler facilement. Il a fallu un peu les traquer. Bic, L'Oréal, Yves Rocher, Bouygues, etc. s'abritent souvent sous leurs sous-traitants, avant d'accepter, au final, de raconter leurs actions dans les ateliers pénitentiaires.

    Combien y a-t-il actuellement en France de prisons construites ou en cours de construction par des groupes privés ?

    Le principe de la "co-gestion" des prisons date de la loi Chalandon de 1987. C'est lui qui a ouvert ce marché aux entreprises. Les premières (Sodexo, SUEZ, IDEX) à répondre au premier appel d'offre sont encore présentes aujourd'hui. Actuellement, plus de 35 prisons sont en partie privatisées. Hormis la surveillance, le greffe, et la direction, ces entreprises, rejointes par Bouygues depuis 2008, ont compétences en matière de gestion. Y compris sur le travail et la formation professionnelle des détenus. [lire également le dossier «Prisons privées»]

    Dans quelle proportion le travail en prison est-il répandu? Dans toutes les prisons françaises? Et chez les femmes autant que chez les hommes?

    16 000 détenus ont travaillé en 2008 dans 505 ateliers pénitentiaires, répartis dans les 194 prisons françaises. Il existe trois régimes de travail : le service général (cuisine, maintenance, peinture, ménage), le travail en concession pour les entreprises privées, et la régie industrielle des établissements pénitentiaires (RIEP), régime où les détenus (1000) travaillent sur des postes plus intéressants (restauration d'archives pour l'INA, imprimerie, métallerie) et mieux rémunérés. En moyenne, la RIEP rémunérer environ 500 euros par mois, les ateliers 350 euros et le service général 220 euros. A noter que certains détenus ne sont pas payés...du tout au service général, comme le permet l'article D.105 du code de procédure pénal. Encore une preuve de cette zone de non droit, selon le terme employé par le Conseil économique et social, dés 1987.

    Au sein de ces ateliers pénitentiaires, quelle est la place de l'Etat? (qui "sélectionne" les détenus travailleurs? qui les forme puis les encadre?). En d'autres termes, jusqu'à quel point l'entreprise investit la prison?

    C'est un très bonne question. Les entreprises n'ont pas vraiment de droit de regard sur le recrutement des détenus. C'est justement un formidable outil de gestion car le fait de choisir un détenu plutôt qu'un autre permet de maintenir le calme : "Je te mettrais à l'atelier si tu n'es pas agité et si tu le deviens, une fois travailleur, tu sors de l'atelier". Comme nous l'a confié le numéro deux de l'Administration pénitentiaire, Laurent Ridel, le travail est essentiel pour assurer la sécurité au sein des prisons. Cela peut faire l'objet de chantage, comme de nombreuses sources nous l'ont indiqué.

    Pour vous l'écriture de ce livre est-elle simplement une manière de pointer du doigt les employeurs qui profitent de cette situation ou est-ce qu'il s'agit également de faire reconnaître un droit du travail en prison?

    Les deux! En priorité, il fallait observer et raconter les conditions de travail (normes d'hygiène et sécurité non respectées, inspection du travail inexistante, machines hors d'âge), les rémunérations très faibles, l'absence d'indemnités chômage, maladie, accident du travail. Et, forcément, une fois ce constat dressé, il était logique de s'intéresser aux entreprises qui profitent de cet eldorado économique.

    Le travail en prison et la privatisation des prisons sont-ils les conséquences d'un "souci" d'économie des gouvernements ou bien des réponses aux lobbies ?

    La privatisation des prisons, sous forme de co-gestion, puis de partenariat public privé (PPP) est une logique financière à court terme. Certes, dans un premier temps, l'Etat n'avance pas le financement qui permet de concevoir et construire une prison. C'est donc intéressant dans la mesure où ces lourdes sommes n'apparaissent pas dans la dette. Mais, mais, Bouygues, signataire d'un PPP en 2008 pour trois prisons (Nantes, Lille et Réseau (Ile-de-France) ne s'oublie pas... Chaque année, et pendant 27 ans, l'Etat lui verse un loyer de 48 millions d'euros. Certains observateurs rencontrés pour ce livre, dont l'ancienne ministre de la Justice Marylise Lebranchu, estiment, qu'au final, cela revient plus cher à l'Etat. Un constat appuyé également par la Cour des comptes, dans un rapport daté de 2006.

    C'est tout bénef pour les entreprises qui font travailler les détenus. A combien se monte le cadeau de l'état à ces entreprise ? En d'autres termes, quel est le coût journalier d'un détenu ?

    Les entreprises rencontrées, souvent des sous-traitants, de grandes entreprises (L'Oréal, 3 suisses, Yves Rocher, BIC, EADS, Agnès B), pour ne citer que ces exemples, réalisent en moyenne une économie de l'ordre de 50 à 65% par rapport aux coûts qu'ils auraient dû engager en employant des salariés dehors. Il faut aussi noter que le travail des détenus constitue une économie substantielle pour l'Administration pénitentiaire (AP). Laquelle, en rémunérant des prisonniers 200 euros par mois pour faire le ménage, la cuisine, la peinture, la distribution des plateaux repas, est également gagnante sur ce terrain. Ce n'est pas l'avis de Laurent Ridel, numéro 2 de l'AP, qui estime qu'il faudrait un comptable pour le vérifier ! Une langue de bois propre à cette administration...

    Quelles sont aujourd'hui les entreprises qui en France gagnent de l'argent dans ce secteur et sont-elles soumises à une réglementation stricte ?

    Le marketing, la cosmétique, l'automobile, l'imprimerie sont les secteurs les plus présents en prison. Certains détenus peuvent aussi - parfois - travailler indirectement pour des stars, comme Jean-Paul Gautier ou Karl Zéro. Ce dernier aurait fait découper son "Vrai Papier journal" à Fleury-Mérogis, comme cela nous l'a été raconté. Joint par téléphone, l'animateur de télévision n'a pu infirmer. Il devait nous rappeler pour nous fournir des précisions ; nous attendons encore son appel.

    Quelles sont les représentations des détenus sur le travail en prison (exploitation, opportunité...)?

    Le sentiment d'être exploité domine. Les détenus et anciens détenus se comparent souvent à des salariés roumains et chinois. Certains voient dans le travail une opportunité de sortir de leur cellule, de s'occuper un peu. Cela est surtout vrai pour les maisons d'arrêt où les détenus sont enfermés 22h sur 24 - dans les centres de détention, les portes des cellules sont ouvertes.

    Quelles tendances décelez-vous dans le travail en prison ? Y'a-t-il de eu une forte augmentation ? Qu'est-ce qui va se passer demain sur la question ?

    La crise économique a frappé et continue de frapper les ateliers pénitentiaire. Les premières victimes de la crise ont été les intérimaires. Or, on peut comparer les détenus à des intérimaires, davantage précarisés encore. Il manque aujourd'hui du travail en prison. Le travail est pourtant crucial : il permet de "cantiner", acheter des produits de première nécessité (savons, Papier toilette, brosse à dents, nourriture de meilleure qualité, etc.) Le travail, même dans ces conditions, est très demandé en prison.

    Dans le webdoc "Prison Valley", un détenu américain parle d’un co-détenu qui gagne une certaine somme en travaillant en prison, dont 20% sont retenus en tant que “loyer”, 20% en tant que restitution aux victimes et 20% en tant qu’épargne prisonnière. Est-ce qu’en France (et peut-être dans d’autres pays européens), on pratique également ce genre de retenu sur salaire des détenus ?

    Oui, un système quasiment identique existe en France : la rémunération est divisée en trois parts, mais les détenus ne payent pas le "loyer". Une part de la rémunération revient aux éventuelles parties civiles, une autre est bloquée sur un "compte" (on appelle cela le pécule libérable, que le détenu reçoit à sa sortie) et une autre part est versée sur un compte "cantinable", la rémunération "net" en quelque sorte.

    Dans votre ouvrage, on trouve relativement peu de témoignages de détenus sur leurs conditions de travail ou leur parcours pour en trouver. Cela relève-t-il d'un choix (varier les points de vue, donner une vision d'ensemble) ou est-ce dû à des contraintes diverses (méfiance de l'AP, contraintes de temps...)?

    Toutes les prisons qui sortiront de terre cette année et dans le futur fonctionneront sur le système de co-gestion, décrit plus bas. Le ministère de la Justice a lu le livre, un chauffeur est venu le chercher à la maison d'édition (Autrement) le lendemain de sa sortie. Depuis, plus de nouvelles. Tous nos entretiens ont été enregistrés, les citations retranscrites in extenso.

    En dehors de l'exploitation manifeste du travail des prisonniers, avez-vous pu constater que dans certains cas, cette « occupation » pouvait constituer un relatif dérivatif à l'enfermement ? Si oui, dans quelles proportions ?

    Comme indiqué plus haut, le travail permet de sortir de sa cellule en maison d'arrêt, c'est certain. En revanche, en terme d'aération d'esprit, je ne suis pas certain que la mise sous sachet de bonbons ou le tri de lots défectueux soient très efficaces pour s'évader. Mieux vaudrait des ateliers culture ou des formations professionnelles, trop peu nombreux.

    Selon vous, est-ce qu'une prise en compte du droit des citoyens incarcérés qui travaillent ferait fuir les employeurs qui sous-traitent en prison pour y trouver une main d'oeuvre flexible et à bas coût?

    Oui, cela est fort possible. Si demain le contrat de travail et les droits accolés (Smic, indemnisation chômage, maladie, congés payés, etc.) arrive en prison, les entreprises en sortiront. Reste une solution : la venue d'entreprise d'insertion par l'activité économique, qui signeraient des contrats aidés, soutenus par l'Etat. Mais ce dispositif coûterait de l'argent. Et abonder en faveur des détenus n'est pas un acte politique très électoraliste...

    Que pensez-vous, si vous l'avez étudié, du rapport travail/prison mis en place depuis longtemps déjà au centre de Casabianda en Corse, cas particulier dans le système carcéral français ?

    On parle de cette prison dans le livre. Elle est unique, sans mur, sans barreau. Jean-Marie Bockel, le secrétaire d'Etat aux prisons, qui viendra ici pour un chat le 6 mai, a indiqué vouloir en ouvrir d'autres. Cela serait intéressant de multiplier ce genre de prisons, plus humaines et surtout davantage axées sur la réinsertion et la préparation de la sortie. Tous les détenus sortent un jour, neuf fois sur dix dans un plus mauvais état qu'il ne sont rentrés.

    Dans votre livre, vous évoquez le travail en prison comme une sorte de zone de non droit. Pas de médecine du travail, pas de retraite et, aussi, dites vous pas de droit de grève. Est-ce que sur le dernier point, vous ne poussez pas un peu le bouchon un peu loin?

    Pourquoi le droit syndical, en tout cas la concertation entre détenus, administration pénitentiaire, et entreprises ne pourrait-il pas s'instaurer ? Il ne s'agit pas ici de créer des manifestations intra-muros, des feux de pneus ou des prises d'otage de patrons, comme parfois dehors, mais de rendre les prisonniers travailleurs acteurs, afin qu'ils puissent proposer, négocier... Cela donnerait un peu plus de sens au travail, sans doute.

    Je me souviens d'une personne qui faisait sortir de prison des toxicomanes, auteurs de petits délits, considérant que ce n'était pas leur place. Il leur permettait d'apprendre des métiers d'art valorisants comme l'ébénisterie. Ils étaient rémunérés comme des apprentis, et logés dans un beau corps de ferme à la campagne. Ensuite on leur donnait la possibilité de s'installer à leur compte. Cet homme n'a jamais eu la satisfaction de voir un détenu ne pas récidiver. Votre expérience de la prison vous a t’elle fait pencher vers des solutions.

    Les régimes de semi-liberté (travail le jour, prison la nuit), les sorties en liberté conditionnelle, les Travaux d'intérêt généraux (TIG) sont, en général, plus propices à la réinsertion.Le taux de récidive baisse pour les personnes qui ont bénéficié d'un aménagement de peine ou d'une alternative à l'incarcération.

    Notre prochain invité sera Jean-Marie Bockel, secrétaire d’Etat à la Justice. Pour ouvrir le chat, quelle question lui poseriez vous?

    Très attendue, la loi pénitentiaire, votée en octobre 2009, a confirmé la nécessité d'interdire le contrat de travail en prison. Malgré les nombreux rapports qui dénoncent cet état de fait depuis vingt ans, le législateur persiste et signe. Qu'est-ce que cela vous inspire ?

    Et pour finir, la question rituelle de Prison Valley: pour vous, c'est quoi la peur ?

    Drôle de question ? J'ai peur parfois le matin lorsque je crois avoir du café et qu'il n'y en a plus. Je descends alors prendre un café en bas de chez moi et là : j'ai peur de ne plus pouvoir fumer au troquet, au zinc. Et, en effet, ma crainte et ma peur se vérifient. C'est une de mes nombreuses peurs - les autres, heureusement, sont moins graves.

    Liens

     
    Posté par David Dufresne Équipe Prison Valley
    le 29/04/2010 (édité le 07/05/2010)
    Pour signaler une correction ou une clarification, contactez l'équipe de Prison Valley
  2.  
     
    Comme à Cayenne, ce qui est moralement condamnable, c'est sans doute le profit que l'on tire d'une main d'oeuvre prisonnière. Pas le fait de travailler. Construire une route à peu de frais, ou fabriquer des plaques d'immatriculation pour en faire du blé...voilà l'obscénité.
    Que des détenus produisent ou fabriquent... qu'ils classent des livres... pourquoi pas. Rien de pire que d'isoler quelqu'un et lui faire sentir ensuite qu'il est inutile... Non ?
    Le travail, c'est sans doute un lien social, un repère avant de sortir peut être...
  3.  
     
    Pour alimenter le débat, le mémoire de Paul-Roger GONTARD, Juriste spécialisé en Droit pénal sur "le centre de détention de CASABIANDA, emblématique prison de paradoxes" http://www.memoireonline.com/08/08/1463/m_le-centre-de-detention-de-casabianda-emblematique-prison-de-paradoxes.html

    Ainsi que sur son blog, ses travaux de recherche sur les différents usages des prisons ouvertes dans l’espace européen : http://gontard.fr/?cat=6
  4.  
     
    Merci Yannick pour vos liens, nous allons les proposer à la réflexion générale avant le chat du 6 mai avec Jean-Marie Bockel, secrétaire d'Etat à la Justice, qui portera notamment sur le thème des prisons ouvertes.
    --
    David Carzon
    Rédacteur en chef du pôle Web - ARTE France
    d-carzon@artefrance.fr
    http://www.arte.tv
  5.  
     
    Il est donc important de signaler que c'est justement à Mr GONTARD que Mr BOCKEL a confié la mission sur les prisons ouvertes au terme de laquelle il a rendu son rapport début avril :
    http://gontard.fr/?p=639

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