C’était avant hier, en plein International Documentary Festival Amsterdam, et en plein cœur de la ville. C’était au Tuschinski Theater, sold out pour l’occasion, et, on peut vous le dire, on avait la frousse.
Mardi soir, c’était la première mondiale de Prison Valley. Ou plus exactement, la première fois qu’on projetait en public les trente premières minutes du programme. Et qu’on le faisait sur grand écran, avec Alexandre Brachet, notre producteur, devenu DJ d’un soir avec son petit mac pour piloter le gros bazar. Ça aussi, c’était nouveau : les gars d’Upian, la boite de prod/web agency derrière Prison Valley, avaient bossé comme des dingues depuis Paris pour que Prison Valley puisse être projeté dans son écrin web et une bonne part de ce qui sera sa navigation finale.
On avait la frousse que ça ne marche pas.
Que la connexion déconne.
Que le passage sur grand écran merdouille.
Qu’Amsterdam voit rouge.
Une bière pour l’un, un reste de vin pour les autres et on s’est avancé. Pendant que Caspar Sonnen, un type comme ça, le maître de cérémonie de la soirée, l’homme et l’âme derrière le DocLab du festival, lançait les festivités. Il écrira plus tard sur son twitter :
« the live screening of new webdoc by @abrachet @IDFADocLab rocked ! pure cinema, great Q&A, nice party too. Look forward to the 2010 launch ! »
«Vous avez pensé à cette confrontation des libertés ?»
Le film est parti. Puis, les lumières se sont rallumées. Puis, les applaudissement ont fusé. Puis les questions. Sur la narration, sur nos partis pris, sur l’interactivé qui traverse Prison Valley, sur le récit lézardé de bonus, le road movie dans le Colorado et ses multiples bifurcations.
Un étudiant en cinéma a alors levé la main :
« Vous traitez du sujet de l’emprisonnement et de la privation de liberté. Et, dans le même temps, vous nous donnez à nous, spectateurs, une liberté inédite à notre place. Vous avez pensé à cette confrontation des libertés ? »
On s’est regardé avec Philippe, le co-réal. Un brin génés, et pas mal émus. Et on a dit la vérité au jeune homme :
« Franchement, non, on n’y avait pas pensé. Enfin, pas comme ça »
C’est dans ce genre de situation qu’on a envie d’embrasser la terre entière, et de commencer par Amsterdam avec ses videurs blonds, ses hollandaises philippines, ses festivaliers sur le retour et les jeunes italiens de peacereporter.net, ou l’équipe de www.6billionothers.org dans la salle. Enfin, tout le monde. Toi aussi, ami du coffee shop.
Puis, une autre main s’est levée. Celle d’une femme. Avocate à New York. Elle a traversé l’Amérique à vélo, allant de prison en prison. Un jour, elle s’est arrêtée dans le même bled que nous : Cañon City, Colorado, et ses 13 geôles. Cañon City, et sa Supermax, la prison des prisons, à demi enterrée, « l’Alcatraz des Rocheuses ». On s’est pincé. C’était comme si l’interactivé commençait là, à Amsterdam, en vis à vis, en face à face. On lui a proposé de l’interviewer. Philippe a tiré son portrait, j’ai pris son email, l’avocate sera dans le film. Délices du Net.
Batailles
A dire vrai, l’ambiance au Cinéma Tuschinski était toute différente de celle du matin, au Forum. Le Forum de l’Idfa, c’est un peu le supermarché de l’Internationale du Documentaire. Où l’on a sept minutes pour présenter son projet et sept minutes de questions-réponses avec les chargés de programmes des meilleures chaînes de télé au monde. Face à soi : trois cents personnes, un sérieux decorum, quelques habitudes, des bougons et des enthousiastes. Les deux modérateurs avaient eu le bon goût de chauffer la salle avec un petit rap doux. A 9h30, c’était au tour de Prison Valley avec, sur l’estrade, Philippe, Alexandre (futur DJ, donc) et l’équipe d’Arte (co-producteur du documentaire) : Marianne Lévy-Leblond et Joel Ronez.
Comme le relatera le lendemain le quotidien du Festival : « La plupart des représentants des chaînes ont aimé l’interactivé de Prison Valley », mais certains se sont interrogés sur l’opportunité du sujet lui-même : le système carcéral américain. Nick Fraser, de la BBC, alla jusqu’à nous demander :
« Plutôt que d’aller aux Etats-Unis, pourquoi ne vous êtes vous pas attaqué à la situation des banlieues françaises ? »
Hey, Nick, pour mille raisons. L’une d’elles est que l’un d’entre nous a justement déjà réalisé un documentaire sur le sujet et que, comme tu le sais, Nick, on ne refait jamais deux fois le même film. Ou alors, c’est dommage. Mais aussi, mais surtout, parce que l’idée du Webdocumentaire telle que nous nous la faisons est précisément de s’affranchir de ces vieux réflexes frontaliers. On en reparlera.
Comme le résumera Joël Ronez, le pitch fut donc tendu. Et c’est dans les tensions qu’on fait les bonnes batailles, non ? Livrons celle-là : celle du bousculage des codes, une sorte de querelle des Anciens contre les Modernes façon 2009. Dans l’après-midi, quelques soldats proposèrent leur service. Des co-producteurs européens, excités par l’enjeu et le pari. Promis, on vous tiendra au jus.
« Fucking in heaven » à Amsterdam
Puis, le soir tard, on fit comme au festival de Sheffield. On finit sur un dance-floor. En l’occurrence, celui de la boite de nuit Escape, la mal nommée (on rougit devant ce compte rendu). On n’avait pas du tout envie de s’enfuir. Pas du tout envie de quitter Amsterdam la cool. Pas du tout envie de déguerpir quand le DJ a rejoué Fat Boy Slim (qui « is fucking in heaven », comme chacun sait). Sauf pour ça : continuer le montage de Prison Valley. On s’y est remis dès aujourd’hui.
A bientôt, pour la suite de nos aventures.
David Dufresne et Philippe Brault (photos).
P.-S. En savoir plus sur Prison Valley à l’Idfa :
- La fiche du film au DocLab
- Le blog du DocLab
- Le compte rendu du Pitch par le quotidien imprimé du festival.
- Le blog de La Fabrique
- L’annonce par Arte (co-producteur du documentaire)
Un Commentaire
Permalien
Nous sommes « enfermes » dans un mode de presentation de documentaire et nous découvrons comme vous l’a dit cet etudiant d’Amsterdam, une liberté de regard. Je suis certain que votre approche trouvera un écho. En tout cas pour ceux qui n’ont jamais approche l’univers carcéral cela apporte un nouveau regard. J’ai travaille dans ce milieu et je m’interroge encore sur les methodes qui pourraient conduirent a un résultat qui respecterai la dignité des individus et les preparerai au retour dans le monde…